Le calcul astronomique en question: Déterminer le début et la fin du Ramadan, les fêtes et les horaires de prière

Introduction

La question de la détermination du premier jour du mois de ramadan est importante à bien des égards.  Elle oppose les théologiens dans la formulation théorique de l’objet mais aussi les pratiques des musulmans au sein des villes et les familles selon les sensibilités multiples qui la composent.

Elle est aussi intéressante car elle met en perspective la préférence de circonstance de pays majoritairement musulmans en faveur d’un avis juridique qui corresponde au choix politique - et partant avec le cachet de validation des instances religieuses respectives - quand bien même l’école[1] dont l’avis émane n’a jamais été suivie dans ces pays.

Elle l’est aussi car les rapports texte - contexte généralement et science -  théologie plus précisément sont mis en perspective dans un cas ou ce défi compte parmi les plus concrets du vingt-et-unième siècle en matière théologique.

Deux questions articulent cette problématique, la première consiste à choisir entre une vision internationale ou nationale. Autrement dit, la première constatation de la nouvelle lune impliquerait-elle pour tous les musulmans du monde l’entrée du mois de ramadan et le début du jeûne ou cette compétence est régionalisée voire nationalisée et chaque pays en détermine le début et l’annonce via une institution théologique compétente (ministère des affaires religieuses, conseils  de théologiens ou autres).

Ensuite, la deuxième question concerne le moyen de déterminer le début de ce mois béni, la seule vision à l’œil nu ou du télescope (celui-ci constituant un prolongement de la vue) sont admis ou le recours au calcul astronomique préalable est-il autorisé ?

 

Vision nationale ou internationale ?

La majorité des juristes – hanafites, malikites, hanbalites - a estimé que c’est la vision internationale qui doit être considérée ainsi que, parmi les contemporains,  le Conseil Européen pour la Fatwa et la Recherche ainsi que l’imam Zuḥaylī[2], l’imam al-‘Uthaymīn[3] et bien d’autres. Cet avis repose sur la portée générale du ḥadīth « Si vous la voyez (la nouvelle lune), jeûnez, et si vous la voyez rompez le jeûne, et si elle est cachée, alors estimez-la » et ainsi les musulmans du monde entier devraient débuter le jeûne tous ensemble. D’un autre côté, les chaafi’ites ainsi que, parmi les contemporains, l’imam al-Ṣan’ānī[4], l’auteur de subul al-salām et l’A.M.J.A (Assembly of Muslims Jurists of America) estiment que la vision est locale ou régionale. Ils fondent leur avis sur la parole d’Ibn ‘Abbās : « mais nous, nous l’avons vue la nuit du samedi et nous continuons à jeûner jusqu’à compléter la période de trente jours ou jusqu’à voir la lune ». Je dis : « ne te suffis-tu pas de la vision de Mu’āwiya et de son jeûne ?». Et Abdallāh Ibn ‘Abbās de dire : « non, c’est ainsi que nous a ordonné d’agir l’envoyé de Dieu [5]». 

Ils raisonnent aussi par analogie (qiyās) en comparant le temps du jeûne aux horaires de prières en partant du principe que les horaires de prières changent selon les régions et que l’analogie peut être opérée avec la vision de la lune. Ils mobilisent l’argument logique (ma’qūl) selon lequel Dieu a lié le jeûne au mois de Ramadan mais que son commencement peut changer selon les régions plus ou moins éloignées, par conséquent, si le moment de commencement du mois peut changer alors la vision doit aussi être variée.

 

Que disent les Textes ?

 

  • Les mots

Force est de nous arrêter sur les mots employés par le Prophète  dont le ḥadīth central est  : «jeunez à sa vue et rompez à sa vue, et si la lune est cachée alors complétez les jours de Ša’bān qui sont au nombre de trente » qui contient une préposition - à ou لِ en arabe – et c’est elle qui indiquerait que la vision est voulue en tant que telle par Dieu et le Prophète et partant, qu’il s’agirait d’un culte inintelligible[6] (‘ibāda maḥḍa). Cela est peu convaincant car il ne s’agit pas ici de jeûner pour la vision – loin, s’en faut – le croyant jeûne pour Dieu, voire pour atteindre la piété ou ressentir la faim selon les textes et enseignements que l’on en tire mais en aucun cas pour voir la lune. Cela semble aller de soi, pourtant, ce qui est écarté par là c’est la centralité sémantique de la vision et ne reste par conséquent qu’à invoquer linguistiquement le rôle de la préposition « à à ou لِ  » comme étant un indicateur de temps, tout au plus (lām al-tawqīt) [7], d’ailleurs dans une autre version c’est le terme tant que ou jusqu’à ce que (ḥattā) qui est employé  «  ne jeûnez pas tant que (ḥattā) vous ne l’aurez pas vue (la lune), et si elle est cachée, terminez la période de trente jours ». La vision n’est pas une finalité concernant le mois de jeûne, pas plus que l’acte de distinguer le fil blanc du fil noir de l’aube n’est une finalité concernant le jour de jeûne. Ils constituent des indicateurs de temps.

 

  • Le sujet

 

Ensuite, déterminons quel est le sujet principal du propos prophétique dans les variantes du ḥadīth et nous nous apercevons que la vision elle-même n’est que secondaire et  qu’elle se rapporte toujours à la lune comme étant le moyen donné pour connaître la  lune qui est son sujet :  « jeûnez à sa vue » , « si elle est cachée, alors estimez-la », «  ne jeûnez pas tant que (ḥattā) vous ne l’aurez pas vue . Dans l’ordre d’importance, même la lune n’est que secondaire lorsqu’on considère le maître-mot de tous les textes dans leurs déclinaisons multiples, en l’occurrence le jeûne, comme tel est le cas dans le Coran « Donc quiconque d'entre vous est présent en ce mois, qu'il jeûne! (Coran 2/185) » où ni vision ni lune ne sont énoncés mais uniquement le mois et le jeûne.

Et nous savons que la sunna vient ici expliquer le verset (mufaṣṣila li ḥukm) et non ajouter en règles (ġayr munši’a li ḥukm)[8].  Dans ces textes, il y a effectivement une adoration absolue et non-intelligible et c’est le jeûne comme l’a indiqué la majorité écrasante des juristes[9].

Ainsi, il apparaît que la réelle cause légale impliquant le jeûne, c’est le mois de Ramadan impliquant le jeûne durant ce mois, ni plus ni moins.

 

Un autre argument consiste à dire que le prophète a interdit le calcul sur la base du ḥadīth [« nous sommes une communauté analphabète, nous n’écrivons pas et ne calculons pas, le mois lunaire est ainsi et ainsi » : il fit ensuite signe avec sa main pour désigner les vingt-neuf et trente jours.].

Pour ce texte, ils feront valoir l’idée que le prophète emploie une forme déclarative non impérative mais dont le sens voulu serait l’interdiction. Pour que la déclaration devienne impératif, un texte correspondant à l’appui doit être apporté, or tel n’est pas le cas. Il est plus plausible que la réalité du peu de moyens était connue du Prophète et c’est pour cela qu’il en dit : « nous sommes une communauté analphabète, nous n’écrivons pas et ne calculons pas », cela ne veut pas dire qu’il ne veut pas que nous écrivions ni ne calculions mais que telle était la réalité de l’époque.

Ensuite, si effectivement, le prophète n’a pas appelé au calcul, notons que tel ordre n’aurait pas fait sens car cette discipline n’était pas fiable et mêlée d’astrologie, il ne l’a pas favorisée pas plus qu’il ne l’a écartée.

En effet, il a appelé à compléter le trentième jour de Ša’bān sans que l’intention de voir la lune ne soit exigée. La raison est que tous deux (calcul et complétude) constituent des moyens et non des finalités.

D’ailleurs, dans une version rapportée autant par Bukhārī[10]  que Muslim, le prophète a appelé à une estimation simple dans le cas où le ciel serait voilé : « Si vous la voyez (la nouvelle lune), jeûnez, et si vous la voyez rompez le jeûne, et si elle est cachée, alors estimez-la » et l’estimation est une forme de calcul.

 

Que dit le droit ?

 

  • La vision : une cause légale ?

 

Affirmer que la vision oculaire soit une loi-déclaratoire (ḥukm waḍ’ī) et plus particulièrement une cause légale (sabab šar’ī) est un argument fort des opposants au calcul astronomique mais peu mobilisé par ces derniers qui, souvent mentionnent l’accord majoritaire historique voire le pseudo consensus sur l’interdiction de recourir au calcul au détriment de la vision.

Affirmer qu’il s’agit d’une cause légale impliquerait que la vision ne peut être substituée par un autre moyen [11] (le télescope est admis car il ne se substitue pas à la vision oculaire mais l’aide en prolongeant la vue) ou selon les termes de l’imam al-Šāṭibī « ce qui a été établie comme cause légale en sera ainsi pour toujours, jamais ne sera levé  ». Fondamentalement la cause légale est, selon les termes de la définition conventionnelle « une caractéristique apparente définie avec exactitude et constituant le signe impliquant ou non l’application d’une norme » mais la vision ne répond pas aux critères de la définition pour plusieurs raisons.

-la vision de la lune n’est pas une caractéristique manifeste de la lune, c’est la caractéristique d’un homme bien voyant et n’est pas observable en tous lieux et tous temps par tous les fidèles.

-Elle n’est pas définie avec exactitude car tant qu’elle reste vision oculaire,  elle est approximative et dépend des aptitudes de l’homme à voir et ensuite à reconnaître, des conditions météorologiques, de l’altitude, de la pollution et bien d’autres facteurs environnementaux et atmosphériques.

-la cause légale ne donne pas de choix multiples. Il serait étrange qu’il n’y ait dans le droit canonique de cas où plusieurs causes existeraient pour une même norme (ou loi morale - ḥukm) sauf dans ce cas de la vision oculaire[12]. Ici, en l’occurrence, le choix est déjà multiple dans les textes car il y a la possibilité de voir la lune à l‘œil nu, de compléter le mois de Cha’ban par un trentième jour et encore d’estimer le mois.

 

Enfin, si elle n’est pas cause légale (une fin en soi) elle est donc un moyen.

 

Notons que dans le registre de la principologie, il est récurrent que les principologues (uṣūliyyūn) exemplifient le chapitre de la cause légale par le ḥadīth : « jeunez à sa vue et rompez à sa vue », cette récurrence tire son origine de la profusion de paroles prophétiques notifiant que la vision à l’œil nu indique le début du mois de Ramadan. Toutefois, certains d’entre eux, anciens comme al-Ġazālī[13] mais aussi contemporains (Juday’[14], Zaydān[15], Khallāf[16], Zuḥaylī[17]) parlent du mois de Ramadan comme étant la cause légale du jeûne conformément à l’esprit des textes, pris dans leur ensemble, et de surcroît au verset explicite : « Donc quiconque d'entre vous est présent en ce mois, qu'il jeûne ! ».

 

 

  • Consensus sur la question ?

Prétention  du consensus

Le consensus a été affirmé par l’imam al-Bāğī ainsi qu’ Ibn Rušd « sauf dans le cas où la lune serait cachée [18]’ » et Ibn Taymiyya qui manifeste même une certaine condescendance vis-à-vis des partisans : « nous savons de science certaine, que le recours au calcul pour la vision de la lune de Ramadan ou pour le pèlerinage ou pour le délai de viduité (‘idda) ou pour al-īlā’ n’est pas permis (…) et les musulmans sont consensuels sur cela et il n’y a de divergence connue à ce sujet, ni ancienne ni actuelle. Si ce n’est quelques contemporains parmi les apprentis juristes  (mutafaqqiha) apparus au quatrième siècle. Ces derniers ont prétendu que si la lune est cachée, il sera donc permis à celui qui est apte à avoir recours au calcul (ḥāsib) pour sa propre personne. Cet avis, même s’il est limité aux cas d’obstruction du ciel et restreint à celui qui en est apte est marginal (šādh) et précédé d’un consensus sans divergence [19]».  

Réalité de la divergence

La divergence a pourtant été mentionnée par des savants illustres, je dirais même que des savants renommés ont été favorables au calcul. Certains précèdent Ibn Taymiyya de loin, Muṭarrif Ibn ‘Abdi Allāh Ibn al-Šikhkhīr (m. 87 H.) qui compte parmi les grands élèves des compagnons dits kibār al-tābi’īn et d’autres lui sont contemporains comme l’imam chaafi’ite al-Subkī (m. 756 H.) et d’autres encore ultérieurs.

D’ailleurs cette divergence est citée dans les livres de droit comparé tout en favorisant, en règle générale, l’avis majoritaire.

Pour exemple, notons que le hanafite Ibn ‘Ābidīn (m. 1252 H.) a dit : « les contemporains ont trois avis  rapportés par l’imam al-Zāhidī. Le premier  est ce qu’a rapporté le Qadi ‘Abdel Ğabbār, à savoir qu’il n’y a de mal à se baser sur la parole des astrologues. Le second stipule, tel que l’a rapporté Muqātil, à savoir, qu’il se basait sur l’avis des astrologues s’ils étaient plusieurs à être du même avis (…) ».

L’imam Nawawī (m. 676 H.) a rappelé cinq avis[20] sur la question. L’imam al-Qarāfī le malikite a mentionné qu’il y avait deux avis au sein des malikite et chaafi’ite mais que l’avis notoire des deux écoles est de ne pas recourir au calcul.

Ainsi donc, si ces juristes qui sont des grandes références des trois écoles, à l’exception des hanbalites (plus catégoriques sur la question), le nombre de juristes qui citent la divergence sont très nombreux. Il n’est pas possible d’affirmer que le consensus au sens principologique (uṣūlī) du terme ait été opéré.

 

  • Les arguments de la précaution (iḥtiyāṭ) et de l’incertitude (żanniyya)

La précaution (iḥtiyāṭ) est l’argument des petites gens et non des savants, des prédicateurs idéologues et non des savants. Il affirme qu’il vaut mieux rester dans l’acquis comme le mentionne la parole prophétique : « laisse ce qui te laisse dans le doute pour ce qui ne te laisse pas dans le doute », toutefois nous savons que délaisser la question, c’est délaisser le savoir et cet argument relève de la quête piétiste (wara’) et non du savoir et ne constitue en rien un argument dans le champ de la recherche. Il est donc rapidement écarté.

En revanche, l’argument fort de l’incertitude ou plus précisément du caractère approximatif du calcul a motivé la majorité des juristes à travers les siècles à s’opposer au calcul astronomique car il était peu fiable à l’époque de l’écriture du droit canonique des théologiens qui rejetèrent cette discipline. Aujourd’hui, les musulmans de par le monde l’acceptent pour les calendriers de prières quotidiennes, chose qui n’existait pas jadis pour le même motif : l’approximation de cette discipline à ce moment-là.

Les avancées scientifiques devraient être intégrées dans le raisonnement théologique et non écartées car derrière ces découvertes et précisions, c’est l’acte de Dieu qui s’étale sous nos yeux et le Noble Coran indique cette vérité : « C'est Lui qui a fait du soleil une clarté et de la lune une lumière, et Il en a déterminé les phases afin que vous sachiez le nombre des années et le calcul (du temps). Dieu n'a créé cela qu'en toute vérité. Il expose les signes pour les gens doués de savoir  (Coran 10/5)».

Aujourd’hui, le calcul astronomique est plus fiable que la vision du soleil pour les prières quotidiennes, comme il l’est plus pour le mois de Ramadan.

 

  • Partisans du calcul astronomique partiellement

Le calcul astronomique permis pour la récusation (nafī) et non pour la détermination (ithbāt)

L’imam al-Subkī, d’obédience chaafi’ite verra qu’il ne faille pas se baser sur le calcul pour déterminer le début du mois de Ramadan mais uniquement pour récuser les faux témoignages (de vision de la lune) si ce calcul astronomique détermine l’impossibilité de voir la lune. Autrement dit, il est permis d’avoir recours au calcul pour la récusation (nafī) et non pour la détermination (ithbāt).

Basé en Arabie Saoudite, le conseil juridique « The Fiqh Council » (al-mağma’ al-fiqhī) regroupant une vingtaine de juristes et  lié au Muslim World League a statué en 2012 sur cet avis. Selon eux, le témoignage d’une personne qui prétend avoir vu la lune sera rejeté si le calcul astronomique représenté par les institutions compétentes et reconnues statue sur l’impossibilité de voir la lune. C’est aussi l’avis de la Maison de la Fatwa Égyptienne (dār al-iftā’ al-maṣriyya)[21].

C’est aussi l’avis du conseil juridique américain, l’A.M.J.A respectivement  « Assembly of Muslims Jurists of America » qui a statué[22] sur le même avis et estime que pour déterminer le début du mois de Ramadan, la vision oculaire  ne peut être remplacée par le calcul astronomique.

Pour comprendre cet avis, il faut prendre en considération que la vision de la lune est impossible dans certains cas comme lorsque la lune se couche avant le soleil et ces états de visibilité impossible sont signifiés par les astronomes. Des institutions comme  le Islamic Crescents' Observation Project (ICOP) s’emploient à trouver des solutions pour refuser les témoignages qui ne cadrent pas avec les données scientifiques tout en préconisant la vision de la lune ; son responsable, Mohamed Chawkat ‘Awda, estime que le problème est fondamentalement lié aux faux témoignages.

 

Le calcul astronomique permis lorsque le ciel est couvert

Cet avis se fonde sur la parole authentique du prophète telle que rapportée dans le recueil de Bukhārī selon ce que les traditionnistes ont nommé la chaîne de transmission d’or (al-silsila al-dhahabiyya)[23] : « Si vous la voyez (la nouvelle lune), jeûnez, et si vous la voyez rompez le jeûne, et si elle est cachée, alors estimez-la ».

Cette estimation serait donc permise si les conditions météorologiques rendent la vision de la lune difficile.

Parmi les plus anciens partisans de cet avis, l’imam Muṭarrif Ibn ‘Abdi Allāh Ibn al-Šikhkhīr[24] verra que lorsque le ciel est couvert il importe d’estimer et donc par extrapolation de calculer (alors estimez-la). C’est aussi la divergence citée par Ibn Rušd ainsi que l’imam Nawawī et d’autres encore. Ibn Surayğ[25] le chaafi’ite optera pour le calcul si la personne en est apte. Toutefois, la majorité répondra à cet argument en disant que l’estimation n’est autre que le fait de compléter les trente jours du mois de Ša’bān. Interpréter le ḥadīth par un autre ḥadīth est prioritaire et dans ce même registre nous en avons un  à notre disposition qui stipule : « et si elle est cachée, terminez la période de trente jours » et un autre qui notifie l’estimation de ces trente jours : « et si elle est cachée, alors estimez la période de trente jours ».

Mais la divergence procède de l’interprétation de cette estimation, est-elle à prendre au sens linguistique (réflexion, évaluation, appréciation) ou faut-il lier tous les textes pour en tirer une conclusion. Selon eux, une fois toutes les versions des paroles prophétiques rapprochées, l’estimation semble être ni plus ni moins qu’un synonyme de l’ordre de compléter la période de trente jour de Ša’bān. 

Dans un cas, comme dans l’autre, les avis sont pertinents et fondés[26].

  • Les partisans du calcul astronomique dans l’absolu

L’astronomie est la discipline qui étudie les astres et les lois qui régissent leurs mouvements. Selon certains juristes, pourquoi faudrait-il faire abstraction du calcul s’il permet de connaître la date avec certitude ? La science répond à une réalité cosmique (sunna kawniyya) divine, Dieu ne veut pas que l’on prenne peur face à la science, bien au contraire, la science est prisée et les savants présentés élogieusement dans le Coran.

Parmi les contemporains, le Conseil Européen de la Fatwa et de la Recherche (E.C.F.R) lors de sa tenue à Istanbul en 2009 a statué sur la validité du recours au calcul astronomique pour déterminer la naissance de la nouvelle lune. Autrement dit, le calcul astronomique permet de statuer sur la naissance théorique de la nouvelle lune et il faut le prendre en compte. Leur communiqué a noté que leur recherche s’est basée sur l’analyse des textes ainsi que la considération des instruments permettant de connaître avec précision le moment de la naissance de la nouvelle lune. Ils diront aussi, que l’information qui n’est pas sujette à divergence entre ces spécialistes est par conséquent une information certaine (qaṭ’iyya) alors que la vision à l’œil nu reste faillible (żaniyya) et l’argument certain prévaut sur l’argument faillible.  

Le traditionniste Aḥmad Šākir dira qu’il est obligatoire d’utiliser le calcul astronomique s’il est infaillible. C’est aussi l’avis de juristes tels que Cheikh Fayṣal Mawlawī, Muṣṭafā al-Zarqā et Yūsuf al-Qaradāwī.

 

Conclusion

 

La vision à l’œil nu, le fait de compléter la période de trente jours, l’estimation, le télescope, le calcul astronomique sont tous des moyens.

Le choix du moyen pour déterminer la cause légale d’un acte obligatoire tel que le jeûne du mois de Ramadan doit être motivé par la performance, l’accessibilité et la facilitation de la pratique et de la vie des musulmans. Pour les musulmans du monde et d’Occident en particulier, il semble que c’est bien le calcul astronomique le plus performant, le plus accessible, le plus utile pour l’organisation de leur vie.

En effet, il y a un intérêt général incontestable car la date d’al-‘Aïd doit être connue préalablement tant pour les travailleurs que pour les étudiants et même les enfants. Dans le monde musulman, c’est adapté selon les aménagements respectifs de chaque pays.

Le seul argument recevable à rétorquer aux partisans du calcul astronomique consisterait à douter de la fiabilité scientifique de cette discipline et plus précisément à prouver son incapacité à déterminer la nouvelle lune. Si la preuve de la non-fiabilité n’est pas apportée, le calcul astronomique est valable et constituera une base à laquelle adhéreront de plus en plus de pays pour la certitude qu’il apporte et la facilité qu’il procure aux musulmans dans les sociétés modernes. Or, si le moment exact de la visibilité de la lune est imprécis pour plusieurs paramètres, la nouvelle lune, la pleine lune, les phases de la lune peuvent être calculées avec une précision sans faille et sujette à l’unanimité des astronomes.

Lorsque nous étudions l’ensemble des textes authentiques concernant ce sujet, il nous apparaît que le motif de l’ordre de voir la lune à l’œil nu pour déterminer le début du mois de ramadan est la considération de l’état de communauté de l’époque qui n’écrivait pas ni ne calculait comme le mentionne le ḥadīth : [« nous sommes une communauté analphabète, nous n’écrivons pas et ne calculons pas, le mois lunaire est ainsi et ainsi » : il fit ensuite signe avec sa main pour désigner les vingt-neuf et trente jours. ].

Le calcul astronomique n’apporte pas la divergence au sein des musulmans comme certains le prétendent, cette dernière existait auparavant et est réitérée. Pour les musulmans d’Occident, la question recouvre une dimension particulière car ces derniers se réfèrent à des pays d’origine, ce qui ne leur permet pas de commencer le jeûne ensemble et a fortiori de célébrer la fête de rupture ensemble. La vraie question se situe donc dans les moyens d’unifier cette pratique et le calcul astronomique semble propice.

 

 

 

Vous pouvez vous procurer l'ouvrage de l'auteur aux éditions Albouraq pour avoir plus de détails sur les questions traitées dans cet article.

 

 


 

 

[1] L’école chaafi’ite est la seule, dans le monde sunnite, à avoir été dans ce sens.

[2] Zuḥaylī Wahba , « al-fiqh al-Islāmī wa adillatuh », v.2, p. 537, Makataba Dār al-Fikr, Damas, 2008).

[3] Mohamed Ibn Ṣāliḥ Al-‘Uthaymīn, « Mudhakirat Fiqh», v.1, p.16-17, Dār al-Ġad al-Ğadīd, Le Caire - al-Mansourah, 2007.

[4]Mohamed al-Amīr al-Ṣan’ānī, «Subul al-Salām », v.4, p.88, Dar Ibn al-Ğawzī, Jeddah, 1421 H. 

[5] Rapporté par Muslim, Tirmidhī,  Nasā’ī, Abū Dāwud.

[6] Désigne le culte pur ou encore traduisible par adoration absolue, c’est-à-dire l’acte liturgique  à faire et dépourvu de motif légal (‘illa) connu, d’où le terme inintelligible (‘ibāda maḥḍa  ou ġayr ma’qūl al-ma’nā). Dans ce cas, l’intention est obligatoire et l’acte en question ne peut pas être changé.

[7] Ibn ‘Āšūr, « Tafsīr al-Taḥrīr wa al-Tanwīr », v. 15, p. 182, Dār Al-Tūnisiyya Li Našr, Tunis.

[8] Cf. Ibn Ḥajar al-‘Asqalānī, «  Fatḥ al-Bārī bi  Sharḥ Ṣaḥīḥ al-Bukhḥārī », v.1, h. 1909, Bayt al-Afkār al-Duwaliyya, Riad.

[9] Le seul, à ma connaissance,  à avoir estimé que le jeûne est intelligible est l’imam Zufar d’obédience hanafite, qui a estimé par conséquent que l’intention n’est pas obligatoire pour le jeune. L’avis de Zufar est faible selon Ibn Rušd (Cf. Ibn Rušd, « Bidāyat al-Muğtahid wa Nihāyat al-Muqtaṣid », Al-Maktaba Al-‘Asriyya,  v.1, p. 268, 2002, Beyrouth.)

[10] En l’occurrence, ce qui est rapporté de Mālik Ibn Anas d’après Nāfi’ d’après Ibn ‘Umar.

[11] C’est la différence avec le motif légal (‘illa ) qui, elle, est interchangeable.

[12] Fayṣal Mawlawī, « al-sabab al-šar’ī  li wuğūb ṣiyām ramaḍān», p.52, Dār al-Rašād l-Islāmiyya,  Beyrouth, 2008.

[13] Abū Ḥāmid al-Ġazālī, « al-Mustaṣfā min ‘ilm al-Uṣūl », p. 121, Dār al-Kutub al-‘Ilmiyya, Beyrouth, 2008. 

[14] Abdellah Ibn Yūsuf Al-Juday’, « Taysīr  ‘Ilm Uṣūl al-Fiqh », Mu’assasa Rayyān, p.54, Beyrouth, 2007.

[15] Abdel-karīm Zaydān, « al-wağīz  fī -uṣūl al-fiqh », p.55, Dār Mu’assasa Qurṭuba.

[16] Abdel Wahhāb Khallāf, « ‘ilm uṣūl al-fiqh », p.97, Dār al-‘Aqīda, Le Caire, 2006.

[17]  Wahba al-Zuḥaylī, « uṣūl al-fiqh al-islāmī», v.1, v. 100, Dār al-Fikr, Damas, 2007.

[18]Ibn Rušd, « Bidāyat al-Muğtahid wa Nihāyat al-Muqtaṣid », Al-Maktaba Al-‘Asriyya,  v.1, p. 260, 2002, Beyrouth.

[19] Ibn Taymiyya (Taqiy al-Dīn Aḥmad), «Mağmū’at al-Fatāwā », v.25, p.76, Dār al-Wafā’, Mansourah, 2005 (3ème édition).  

[20] Muḥī al-Dīn al-Nawawī, « Kitāb al-Mağmū’ : šarḥ al-Muhadhdhab li al-Šīrāzī », v.6, p.275-277, Maktaba al-Iršād, Jeddah, Arabie Saoudite.

[21] Dār al-Iftā’ al-Maṣriyya, « Kitāb al-Ṣiyām»  p.12,  Dār al-Iftā’ al-Maṣriyya, 1431 H.

[22]http://www.amjaonline.org/articles/entry/amja-s-method-of-deciding-the-beginning-of-an-islamic-hijri-month. Consulté en ligne le 10/09/13.

[23] En l’occurrence, ce qui est rapporté de Mālik Ibn Anas d’après Nāfi’ d’après Ibn ‘Umar.

[24] Il fait partie des Successeurs des Compagnons (Kibār al-Tābi’īn), il prit le savoir et le rapporta de nombreux Compagnons tels que ‘Alī, ‘Uthmān, Ā’iša, Abū Dhar et bien d’autres. Il eut des élèves de renom dont al-Ḥasan al-Baṣrī et Qattāda. Il décéda en 87 de l’Hégire  (selon l’avis d’Ibn al-Ğawzī dans ṣifat al-afwa).

[25] Il s’agit d’Abū al-‘Abbās Aḥmad Ibn ‘Umar Ibn Surayğ, grande figure dans le droit chaafi’ite et la principologie (uṣūl), il était de Bagdad et décéda en l’an 306 de l’Hégire. 

[26] Fayṣal Mawlawī, « al-sabab al-šar’ī  li wuğūb ṣiyām ramaān», p.104-108, Dār al-Rašād al-Islāmiyya,  Beyrouth, 2008.

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