
Le CILE a tenu un séminaire à huis-clos sur les relations hommes/femmes et l'éthique islamique, à Oxford, du 19 au 21 mai 2015
Le Centre de Recherche sur la Législation Islamique et l'Éthique (CILE) a tenu un séminaire à huis-clos sur les relations hommes/femmes et l'éthique islamique, à Oxford, du 19 au 21 mai 2015. D'éminents universitaires, spécialistes des connaissances religieuses du texte et de la connaissance du contexte contemporain, ont participé aux trois jours de discussions sur ce sujet important et hautement controversé.
CILE a reçu les précieuses contributions des savants religieux suivants: Le Dr. Mohamed Tahir El-Misawi, actuellement professeur adjoint à Kulliyyah of Islamic Revealed Knowledge and Human Sciences, International Islamic University Malaysia ; le Dr. Farida Zomorod, professeur d'interprétation et de sciences coraniques à l'Institut Dar Al Hadith Al Hassania, École des études islamiques supérieures ; le Dr. Roqaia Taha Jabir Al Ulwani, professeur adjoint à l'Université de Bahreïn et le Dr. Muthanna Amin Nader, érudit musulman, actuellement membre du parlement iraquien et président du Parti de l'Union Musulmane du Kurdistan.
Ont également participé des savants du contexte tels que: le Dr. Terrell Carver, professeur de théorie politique à l'Université de Bristol et le Dr. Mamoun Mobayed, actuellement consultant en psychiatrie, directeur du département de réadaptation au Behavioural Health Care Centre (BHC) au Qatar et professeur de psychologie au Community College Qatar. Et pour la première fois, ont participé des érudits dont la connaissance recouvre à la fois les champs du texte et du contexte : le Dr. Serene Jones présidente actuelle de l'American Academy of Religion (AAR) , et 16ème Présidente du célèbre Union Theological Seminary de la ville de New York , ainsi que le Dr. Ziba Mir Hosseini, anthropologue et juriste spécialisée en droit islamique, genre et développement, et actuellement professeur adjoint chargé de recherche au Centre for Islamic and Middle Eastern Law de l'Université de Londres.
Selon la tradition du CILE, les discussions, lors de la première journée, se sont focalisées sur la base théorique des relations hommes/femmes, par l’examen des questions relatives à l'autorité et ses fondements philosophiques. Dans sa réponse à la question sur la façon d'élaborer un cadre d'autorité référentielle pour les questions de parité entre hommes et femmes qui soit basé sur les textes et les objectifs de la Charia (l'équité, la masculinité et la féminité, les relations et les rôles, l'effet des décisions juridiques), le Dr. El-Mesawi a présenté une contribution intéressante sous le titre : « Questions d'égalité des sexes en Islam : "Rétablir l'équilibre ».
L'auteur y soutient que la littérature féministe sur le genre et sur la question des femmes place les hommes et les femmes dans deux camps opposés. En outre, les problèmes et solutions des femmes s’inscrivent dans une relation dualiste entre un "Occident laïc dominant", qui appelle à la libération des femmes, et un "Orient faible", qui baffoue leurs droits. Dans les deux cas, la question des femmes a été réduite à des controverses, entre "les féministes ultra-libérales" et "les antiféministes conservatrices et fondamentalistes", sur le port du voile vs le dévoilement et sur le corps et la sexualité des femmes. Il propose, au lieu de ces approches réductionnistes, une approche globale qui traite le problème comme concernant tous les êtres humains, hommes et femmes, et une approche différente fondée sur la vision du monde que l'on retrouve dans la Coran.
Il indique que le Coran considère à la fois les hommes et les femmes comme des êtres humains composés de deux éléments importants, la matérialité et la spiritualité, et que les deux sont supérieurs à toutes les créatures de par leur capacité de connaissances et de raisonnement. Les femmes et les hommes sont conçus à partir d'un seul être dont Dieu a créé l’épouse. Cette compréhension de la création humaine est à la base des relations entre les femmes et les hommes. Les deux, indépendamment de leurs différences sexuelles, ont reçu des commandements divins. Le Coran révèle également comment femmes et hommes sont naturellement et réciproquement attachés les uns aux autres et comment leur relation est faite de "complémentarité et de solidarité".
Le professeur Jones affirme de son côté qu’en tant que théologienne chrétienne, elle est d'accord avec le Dr. El Mesawi au sujet du cadre éthique et religieux dans lequel il s’attaque aux questions homme/femme telles qu'elles sont, et soutient que la plupart des connaissances relatives aux relations hommes/femmes et aux questions féminines proviennent d’un point de vue laïc et qu’en Islam, ces connaissances vont au-delà de ce point de vue et s’inscrivent dans le cadre des idéologies néocoloniales et de la relation entre l'Orient et l'Occident. Elle confirme que les notions de liberté et d'égalité ont une conceptualisation différente dans la religion. Elle salue le fait que le Coran fournit le support pour l'histoire de la création de tous les humains sur la base de l'égalité comme étant la pierre angulaire des relations hommes/femmes par opposition aux récits de la création dans le Christianisme. Elle s'interroge sur la notion de complémentarité et se demande si elle constitue une bonne base pour la compréhension de la justice dans les relations hommes/femmes.
Sur les fondements philosophiques de la parité entre les hommes et les femmes à partir d'une perspective féministe contemporaine, le professeur Terrell Carver entame sa communication en confirmant que le genre tout comme le sexe et la sexualité sont considérés comme des catégories analytiques pour les hommes et les femmes en opposition. Ces concepts sont chargés d’idéologies politiques différentes qui œuvrent à travers diverses institutions aux niveaux national et international pour traiter les gens comme des objets et déterminer leurs choix et leur liberté. Le savoir féministe interroge la perspective masculine et considère que le sexe et le genre ne sont plus simplement définis dans les paramètres de la biologie. Féminité et masculinité étaient les concepts par lesquels le genre était supposé distinguer le comportement de l’homme et de la femme. A travers la performance des deux, la masculinité et la féminité ont maintenu la hiérarchie des genres et placé les hommes dans une position supérieure possédant le pouvoir politique et économique par opposition aux femmes. Pour le professeur Terrell Carver, le genre est une idéologie de pouvoir et l'égalité des sexes est une notion problématique parce qu'elle est basée sur la hiérarchie et la préférence de la masculinité.
Le Dr. Muthanna Amin Nader, dans sa réponse au professeur Carver, explique la signification du terme " genre ", passe en revue les différentes écoles de féminisme et met l'accent sur la différence entre le féminisme et les mouvements de libération des femmes. Il considère que les mouvements féministes sont pro-occidentaux et promeuvent certaines idéologies qui ne sont pas acceptables pour les communautés musulmanes. L'Islam a donné des droits aux femmes et l'importance de fournir une alternative aux relations hommes/femmes est fondée sur le Coran et sur les conceptions islamiques d'égalité et de justice.
Lors du deuxième jour, les discussions ont porté sur les questions de genre en termes d'expérience et d'application. Dans les approches islamiques des questions de droits et de devoirs des hommes et des femmes, le Dr. Roqaia a commencé sa communication par la référence à l'importance des terminologies et au fait que celles-ci sont idéologiquement chargées et ont rapport à l'identité. Elle se réfère à la notion de genre et à ses différentes définitions dans les discours féministes occidentaux ainsi qu’à la façon dont ce terme est utilisé partout dans le monde par les institutions de l'ONU. L'auteur souligne également les différents sens de la famille et les rôles des hommes et des femmes en Islam par opposition aux conceptions occidentales de la famille qui sont basées sur l'individualisme. Cette communication produit et exige un discours équilibré dans les questions de parité et les relations hommes/femmes, basé sur la conceptualisation islamique différente de l’égalité, de la justice et de la liberté. La communication se fonde sur un cadre de référence islamique et sur les objectifs suprêmes de l'Islam représentés par le monothéisme et le califat.
Le Dr. Mobayed, dans sa réponse, rejoint les préoccupations du Dr. Roqaia concernant les différentes significations terminologiques, mais il croit que cela peut engendrer des difficultés dans la création d'une compréhension réciproque, néanmoins c'est une conséquence normale des différences dans la pensée humaine. Il confirme que la différence biologique entre les hommes et les femmes est citée dans le Coran. L'auteur se réfère aux différents sens du mot " Genre " et appelle à la différenciation entre le genre qui réfère aux troubles de l'identité sexuelle et le genre qui réfère à la socialisation et à l'impact des normes sociales et culturelles, confirmant qu'une meilleure compréhension de ce dernier peut conduire à des changements positifs dans les relations injustes entre les hommes et les femmes et les rôles que la société attend d'eux. Il loue également la perception positive de genre préconisée par les Nations Unies et l'UNIFEM. Il se réfère à l'importance de la famille dans la pensée islamique par opposition à la conception de la famille basée sur l'individualisme qui prévaut dans certaines sociétés occidentales. Il se réfère aux différents sens de la liberté dans la pensée musulmane et appelle à l'adoption d'un modèle renouvelé pour les relations hommes/femmes, fondé sur les objectifs suprêmes de l'Islam qui dépassera à la fois l'extrémisme qui est à l'encontre des principes de l'Islam et la rigidité dans la compréhension de l'Islam qui est imperméable aux défis actuels.
En réponse à la question de l'application des droits et des devoirs dans la législation de la famille musulmane, le Dr. Zomorod explique qu'il est important d'examiner les conceptualisations islamiques relatives aux questions des relations hommes/femmes en Islam, dans le but de fournir de nouvelles lectures basées sur les méthodes scientifiques islamiques. La communication évalue de façon critique ce qui est connu comme l'approche féministe musulmane pour les relations hommes/femmes et considère que celle-ci est basée sur une mauvaise interprétation des conceptualisations islamiques de problématiques importantes comme l’"égalité". De même, ces tentatives de relecture du Coran ne saisissent pas les méthodologies utilisées par les savants musulmans. Alternativement, le Dr. Zomorod appelle à une prise en compte d’un cadre islamique différent, basé sur les références de la jurisprudence et des fondamentaux islamiques et à la construction d’une nouvelle compréhension globale des relations hommes/femmes en Islam, qui serait une combinaison à la fois des textes et des valeurs éthiques islamiques. Le Dr. Zomorod maintient qu'il y a eu quelques écarts dans les relations hommes/femmes en Islam et que c'est principalement dû à l'impact culturel dans certaines sociétés musulmanes. La communication présente certains des principes méthodologiques des décrets religieux et les principes éthiques du droit de la famille en Islam. Elle considère que la relation entre les hommes et les femmes est basée sur la complémentarité des interprétations islamiques de la justice.
Le Dr. Ziba Mir-Hosseini, qui est l'un des promoteurs de la pensée des féministes musulmans, considère que la communication du Dr. Zomorod reflète le point de vue des savants musulmans spécialistes du texte qui s’oppose au féminisme musulman et elle explique que les féministes musulmans, en dépit du fait qu’ils partagent des traits communs avec les féministes occidentaux, ne prônent pas l'égalité absolue et font partie de la pensée réformiste musulmane. Le Dr. Ziba a fait valoir que l’objectif des féministes musulmans est de susciter une prise de conscience de la discrimination des femmes musulmanes dans le travail et dans la société dans le but d'améliorer les conditions de vie des femmes. Elle confirme que le concept féministe du genre va au-delà de la conception étroite des différences biologiques entre les hommes et les femmes pour considérer les aspects sociaux et culturels que les deux, hommes et femmes, les vivent. Ensuite la communication présente l’interprétation différente des féministes musulmans concernant la notion d'égalité, qui n'est pas un déni des différences essentielles entre les hommes et les femmes comme le font les traditionalistes et islamistes qui mettent au même niveau l'égalité et l'identité, croyant que l'égalité est plutôt nécessaire comme principe de justice, de droit et de régulation des relations de pouvoir entre les hommes et les femmes , ce qui permet la pleine participation des femmes dans la famille et la société .
Dans leur méthodologie, les féministes musulmans combinent deux méthodes : les connaissances religieuses d’une part—ils différencient la religion (din) et le savoir religieux (al-ma'rifah al-diniyah) c'est-à-dire le variable de l'invariable dans les textes—et distinguent également entre la Charia et le fiqh et les deux principales catégories de décisions juridiques (ahkam) : ibadat (rituel/actes spirituels) et mu'amalat (social/actes contractuels). Le tout est fondé sur les objectifs suprêmes de l'Islam (maqasid). D'autre part, ils tirent également profit de la méthodologie féministe dans la contextualisation des expériences des femmes afin d'inclure les préoccupations et la voix des femmes dans la production des connaissances religieuses.
La communication s’achève avec la reconnaissance de la similitude de certains objectifs propres aux féministes musulmans et aux spécialistes du texte et confirme qu’il y a place pour un dialogue qui devrait être fondé sur le respect et la compréhension mutuels entre les féministes musulmans et les oulémas des textes.
Ces discussions enrichissent la documentation existante car elles recouvrent les deux approches du savoir par le biais de l'engagement des deux catégories d'érudits dans un dialogue intellectuel mutuel. En outre, elles apportent de l'éthique en la matière, ce qui élargit le débat et ouvre la voie à une réponse aux défis des sociétés musulmanes contemporaines tant en Orient qu’en Occident. De plus, l'ajout de la question du droit de la famille musulmane comme exemple de pratique législative dans l'application des connaissances a décentré les discussions et la pensée des relations entre hommes et femmes en Islam au-delà de l'exercice intellectuel pour aborder l’impactréel vécu par les hommes et les femmes. Les résultats de ce séminaire ouvrent la porte à de futures discussions pour la constitution d’un nouveau cadre et la compréhension des relations hommes/femmes en s’appuyant sur les objectifs suprêmes de l'Islam.
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