
Table ronde co-organisée par le World Innovation Summit for Health (WISH) et le Centre de Recherche sur la Législation Islamique et l’Éthique (CILE)
Dans le cadre du sommet de 2015 qui s’est tenu à Doha, Qatar les 17 et 18 février 2015, CILE et WISH ont co-organisé une table ronde sur le thème « Soins et éthique : la génomique » le 17 février 2015, de 14h00 à 15h30. Il s’agissait de la seconde table ronde consécutive sous l’intitulé général « Soins et éthique ». La première table ronde, l’année dernière, s’était penchée sur les problématiques liées à la fin de vie et en particulier aux soins palliatifs. La table ronde de cette année a porté sur une autre question essentielle de la bioéthique, à savoir la génomique, qui suscite actuellement un grand intérêt dans la région du Golfe et au Qatar en particulier.
Le modérateur de la table ronde était Mohammed Ghaly (directeur académique du CILE et professeur d’islam et éthique biomédicale). Parmi les intervenants figuraient:
- C. Thomas Caskey (Faculté de Médecine de Baylor, Etats-Unis)
- Asma Al-Thani (Université du Qatar, Qatar)
- Hilal Lashuel (Institut de Recherche biomédicale du Qatar, Qatar)
- Eman Sadoun (Conseil supérieur de la Santé, Qatar)
- Mohammad Naim Yasin (Faculté de Sharia, Université de Jordanie, Jordanie)
- Tariq Ramadan (Centre de Recherche sur la Législation Islamique et l’Ethique (CILE), Qatar et Université d’Oxford, Royaume-Uni).
Principaux thèmes abordés
En 2003, l'ancien président américain Bill Clinton, annonçait que le Projet Génome humain avait été mené à bien. La nouvelle était considérable et donnait à penser que la « Science » en général, et les sciences biomédicales en particulier, ne seraient plus jamais comme avant. Ce succès fut comparé au programme Apollo qui avait réussi à amener l’homme sur la lune. Une nouvelle ère de l’histoire commençait : il y aurait désormais l’avant-génome et l’après-génome.
Francis Collins, directeur du Projet Génome humain lors de sa phase finale, décrivait ainsi la portée du projet dans son livre De la génétique à Dieu :
Le génome humain est l’ensemble de tout l’ADN de notre espèce, le code héréditaire de la vie. Ce texte récemment révélé était long de trois milliards de lettres, et écrit dans un étrange code cryptographique à quatre lettres. L’extraordinaire complexité de l’information présente au sein de chaque cellule du corps humain est telle que lire ce code à haute voix au rythme d’une lettre par seconde prendrait trente-et-un ans, même en lisant jour et nuit. Si l’on imprimait toutes ces lettres avec des caractères de taille normale et qu’on réunissait l’ensemble, cela donnerait une tour aussi haute que le Washington Monument.
Le séquençage du génome humain a apporté une si vaste somme d’informations sur la biologie humaine qu’on a parlé de « Livre de la Vie ». Comme Collins lui-même le reconnaît, le problème de ce livre est que « C’est comme si nous avions découvert le Livre de la Vie, mais en nous apercevant que ce livre était écrit dans une langue inconnue. » De ce fait, les savants s’efforcent toujours de déchiffrer la langue de ce livre et ce processus de déchiffrage est plus difficile qu’on ne l’imagine. Au cours de la table ronde, le Dr. Thomas Caskey a abordé cette question.
Une décennie d’initiatives dans la région du Golfe
Depuis 2003 (année de l’achèvement du Projet Génome humain), la région du Golfe a développé une série d’initiatives autour du génome :
· En 2003, le Centre arabe pour l’Etude du Génome a été fondé à Dubai, Emirats Arabes Unis, par le Prix Sheikh Hamdan Bin Rashid Al Maktoum pour les Sciences médicales.
· En décembre 2013, lors de la précédente conférence du WISH, le Projet du Qatar sur le Génome (QGP) a été officiellement lancé par SA Sheikha Moza Bint Nasser dans son discours d’ouverture de la conférence.
· En décembre 2013, le projet saoudien pour le Génome a également été lancé avec un budget de 300 millions de riyals saoudiens sur trois ans.
L’élément remarquable dans ces initiatives est qu’elles ne se satisfaisaient pas d’importer la technologie (dans ce cas précis, la technologie génomique) mais qu’elles manifestaient un intérêt réel pour la recherche active dans le but d’être pionnières dans ce domaine.
Deux intervenantes de la table ronde (Dr. Asma al-Thani et Dr. Hilal Lashuel) qui font partie du Projet du Qatar pour le Génome (QGP) ont analysé plus en détail le Projet du Qatar pour le Génome.
Défis éthiques
Ces ambitions scientifiques et leurs potentiels prometteurs dans les domaines de la santé et de la médecine personnalisée, ne doivent pas nous faire oublier les défis et questions éthiques soulevés par les technologies de pointe de la génomique.
Pour montrer l’intérêt de se pencher sur ces défis éthiques, il suffira de rappeler que parallèlement au Projet Génome humain auquel il était associé, un vaste programme intitulé Implications éthiques, juridiques et sociales (Programme ELSI) a été mis en place pour examiner les questions éthiques associées. C’était peut-être la première fois dans l’histoire de la bioéthique que les défis éthiques liés aux recherches scientifiques étaient examinés en même temps que l’entreprise scientifique se poursuivait, plutôt qu’après comme c’était le cas auparavant. L’exemple donné par le Projet Génome humain en associant la génomique à l’éthique est par la suite devenu la norme dans d’autres projets de recherche menés à travers le monde.
Pour donner une idée de l’importance et de la portée des défis et questions éthiques que la génomique soulève, on notera qu’entre 1990 et 2012 le programme ELSI a financé aux Etats-Unis environ 500 projets de recherche et d’éducation et congrès, qui ont donné lieu à plus de 1500 articles de revues universitaires, livres, lettres d’information, sites internet et émissions de radio et de télévision.
Pour utile qu’ait été l’apport des programmes ELSI aux Etats-Unis et ailleurs grâce à leur analyse approfondie des principales problématiques éthiques liées au domaine de la génomique, la religion n’y a pas occupé une grande place. Le mot « religion » lui-même n’apparaît dans le titre d’aucun de ces programmes ni de leurs publications. Concernant l’islam en particulier, on peut dire qu’il n’y a quasiment rien.
La situation est cependant très différente dans la région du Golfe : la religion (l’islam en particulier) y joue en général un rôle important dans la société et elle a donc été prise au sérieux dans l’examen des défis éthiques de la génomique. La paternité par exemple est une question centrale dans la tradition musulmane et dans les sociétés musulmanes. Que les institutions biomédicales s’occupant des projets de séquençage du génome devraient-elles faire de ce qu’on appelle les « résultats collatéraux » qui affectent les questions de paternité, en montrant par exemple que l’enfant X n’a pas de lien biologique avec l’homme Y ? Comment les savants religieux musulmans abordent-ils ces questions ? Ces institutions sont-elles dans l’obligation (éthique) de révéler leurs résultats aux personnes concernées ou faudrait-il au contraire le leur interdire ? Jusqu’à quel point la législation nationale sur la génomique devrait-elle, dans les pays du Golfe, prendre en considération les dimensions éthiques ? Plus généralement, dans quelle mesure la médecine et la recherche dans le domaine de la génomique sont-elles différentes dans le contexte arabo-musulman et dans le contexte occidental ? Ces questions ont été traitées par les trois intervenants : Dr. Eman Sadoun, Sheikh Mohammad Naim Yasin et Dr. Tariq Ramadan.
Vidéo de la table ronde (en langue anglaise uniquement), source WISH
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