Islam et postmodernisme: La question incontournable du sens

Au Nom du Dieu unique, du Très-Clément et du Très-Miséricordieux

Islam et postmodernisme :

La question incontournable du sens

Le principe fondamental en anthropologie des religions est que chaque civilisation s’enracine dans une vision du monde. Si on veut comprendre la culture de l’autre, son système d’éducation, son système juridique, économique et politique, il faut donc se référer à ce qui fonde sa vision et ce qui lui donne sens. Car aucune société ne peut éviter cette question fondamentale : « Quel sens donner à notre existence, individuellement et collectivement ? »

Nous allons donc étudier ces deux systèmes de croyances :

– Ce qu’on appelle aujourd’hui le postmodernisme qui est l’idéologie dominante en Occident et qui se mondialise progressivement. Certains intellectuels musulmans pensent d’ailleurs que cette idéologie qui a succédé au modernisme serait beaucoup plus conciliable avec l’Islam.

– Et l’Islam, à partir de l’étude de son premier pilier : la double attestation de foi. À travers cette étude du credo de la foi musulmane, nous allons essayer de comprendre quelles sont les ressemblances et les dissemblances avec les idées modernistes (et postmodernes) dans leur manière de concevoir l’humain.

Postmodernisme, Éthique et vérité :

Le relativisme universel

Depuis le Siècle des Lumières, l’Occident s’affirme laïque et sans religion. Les innombrables conflits entre les différentes tendances religieuses et l’obscurantisme clérical qui a imposé son dogme ont eu raison de l’attachement formel de cette partie du monde à la foi chrétienne. La sécularisation et la mise à l’écart du religieux des sphères sociale, politique et économique sont, en fait, une réaction assez légitime face à un ordre perçu comme injuste, rétrograde et oppressant.

Le fait d’aborder cette question du sens dans le contexte des sociétés occidentales modernes et matérialistes ne change rien de fondamental. Car pour trouver du sens dans notre vie (individuellement ou en communauté), toute société a besoin de se référer à un cadre conceptuel qui la dépasse et qui définit un système de croyance.

C’était l’Église et son dogme qui, autrefois, imposaient ses normes morales à toute la société. Aujourd’hui, qui remplacent ces acteurs dans notre contexte ? Si au siècle dernier, des idéologies telles que le nazisme, le libéralisme ou le marxisme ont dominé, quel est donc le système de croyances qui domine notre nouveau siècle ?

Religion, croyance ou idéologie

En Occident, lorsque la question de la religion est abordée, c’est toujours à partir d’anciennes définitions qui datent du xixesiècle et qui ont été formulée par ceux qui se revendiquaient des philosophies des Lumières. Ainsi Le Larousse définit la religion comme « un ensemble de croyances ou de dogmes accompagné de rites définissant les rapports de l’Homme avec le sacré. »

Cette définition a pourtant été remise en cause par les anthropologues. Aujourd’hui, lorsque des spécialistes en sciences sociales discutent de religion, c’est plutôt en termes de « vision du monde ou de systèmes de croyances qui donnent sens à l’existence. »[1]

Au regard de cette définition anthropologique, on peut donc affirmer qu’une idéologie peut tout aussi bien fonder un système de croyances qu’une religion. On pourrait même regrouper des idéologies matérialistes modernes sous la catégorie « religion », car bien des individus et des sociétés s’en servent pour donner sens à leur existence.

L’idéologie se définit comme « un ensemble cohérent et intégré́ d’idées et de croyances (ou d’idées transformées en croyances) destinées à expliquer l’attitude des Hommes envers leur vie en société et établir une ligne de conduite conforme a leurs idées et à leurs croyances. » On voit bien que la distinction entre un système de croyances religieuses et une idéologie politique moderne devient bien difficile.

Si les idéologies et les religions se confondent dans la manière de se définir, c’est aussi le cas dans les moyens qu’elles utilisent : comme dans toute religion, toute idéologie nécessite la mise en place d’un appareil technique de diffusion (et de persuasion) pour acquérir l’adhésion des masses. Et en dépit de son caractère rationnel, l’idéologie politique moderne est aussi engendrée par des émotions et les engendre à son tour, se rapprochant ainsi des religions d’autrefois.

Aujourd’hui, il n’est donc plus possible de différencier des idéologies exclusivement ou essentiellement politiques de celles qui se rapportent à des valeurs religieuses ou même économiques. Toutes les idéologies modernes ont tendance à tout embrasser et deviennent un système total d’idées et de croyances.

Le système de croyance moderne

La Renaissance européenne puis le siècle des Lumières ont été un incroyable basculement dans l’histoire de l’Occident. Ils ont permis l’émergence d’un nouveau système de croyance, inédit dans sa forme. Cette idéologie s’est construite en réaction au système judéo-chrétien qui avait jusqu’à lors dominé tout l’Occident. Il avait pour but premier de permettre la libération des peuples de leur propre communauté religieuse et de réaliser l’émancipation des individus en revendiquant le primat de la raison sur le dogme.

La domination des traditions religieuses et des vérités imposées a donc été rejetée. C’est la Raison émancipée qui fonde désormais tout savoir et toutes vérités. La science est alors présentée comme la source de notre salut sur Terre. Une nouvelle conception de l’Homme est apparue, qui mettait en exergue sa condition de sujet autonome, c’est-à-dire de quelqu’un qui dit « Je » face au monde – et aux autres. C’est l’avènement de l’Homme moderne.

Comme dans toute religion, les penseurs modernes des Lumières ont promis le Paradis (sur Terre) et ont alors prophétisé que l’avènement de nouvelles sciences conduirait inexorablement l’humanité vers une ère de prospérité. La technologie moderne se répandrait pour le bien de tous et l’Homme moderne éclairé par sa propre raison pourra finalement faire régner la paix sur ce monde.

Dans cette œuvre de renouveau du nouvel Homme, l’État national moderniste jouera un rôle central. C’est en effet l’État moderne qui sera le garant et le seul représentant légitime de l’individu-souverain.

En fait, l’État moderne ne fera que reprendre les habits de l’Église catholique qui s’était imposée comme la seule représentation légitime de Dieu sur Terre (et le passage obligé du salut céleste pour ses fidèles). À présent, c’est l’État national qui défendra et protègera les intérêts de l’individu-citoyen, nouvelle référence des modernistes.

Là où autrefois l’institution cléricale jouait un rôle central (éducation, santé, social), désormais c’est l’État (et le politique avec l’idée nationale) qui organisera la société dans tous ses aspects. En France, en particulier, il est particulièrement frappant de constater à quel point l’État, dans ses symboles et sa praxis, a récupéré le rôle central et religieux de l’Église catholique. L’État est désormais l’autorité vers laquelle on se tourne tous. L’État (-Providence !) et ses représentants doivent légiférer et se prononcer sur tout.

L’épopée moderne a eu ses heures de gloire mais le xxe siècle aura certainement été celui du grand désenchantement. Après les innombrables massacres de l’aventure coloniale et les dizaines de millions de morts européens causées par les deux grands guerres, après les camps de la mort du national-socialisme (nazisme) et les goulags du national-communisme (stalinien), après les bombes H et les grandes catastrophes écologiques en cours, les prêcheurs de l’idéal moderniste sont envahis par le doute et se montrent beaucoup moins bavards.

Le système de croyance postmoderne

Des la fin du siècle précédent, la foi en la modernité a donc beaucoup perdu de sa crédibilité et elle est remis en cause par une nouvelle croyance, le postmodernisme. Cette nouvelle idéologie reste fidèle aux fondamentaux des philosophies matérialistes des Lumières et il revendique toujours sa rupture radicale avec l’héritage judéo-chrétien. Il n’est en fait qu’un changement de posture, une adaptation.

En réaction aux idéaux modernistes, la vision postmoderne ne veut plus croire à ces grands projets politiques et collectifs qui se voulaient universels mais qui ont marqué par le sang l’histoire contemporaine. Car la plupart de ces idéologies modernes se sont très vite avérées coloniales, totalitaires, expansionnistes et racistes. Même la sainte croyance en la science, au progrès et aux effets salvateurs des nouvelles technologies modernes ne sont plus à l’abri de ces remises en question.

Mais pour le postmoderne, si l’idéologie de la modernité a été à l’origine de tant de malheur durant le siècle précédent, c’est d’abord parce que le modernisme est resté encore trop croyant, trop attaché à son fond chrétien. Cette volonté à imposer sa vérité, dominante dans les idéologies nationales-totalitaires, serait en fait des résurgences des conceptions de l’Homme et de la Vérité tirées de l’héritage judéo-chrétien.

Désormais dans la religion postmoderne, cette notion de Vérité absolue ne devra plus primer. Si la raison humaine (qui permettait d’accéder à la Vérité) étaient au cœur pour les modernes, ce sera d’abord et surtout l’épanouissement de l’Homme, en tant qu’individu, qui constituera le credo central du postmoderne. La notion de « vérité », elle-même, devient secondaire.

Pour les défenseurs de la modernité, c’était les croyances religieuses et leurs institutions hégémoniques qui étaient le principal obstacle à la diffusion de leurs idées. Pour les idéologues du postmodernisme, ce qui posent problème ce sont toutes ces idéologies collectives qui arrivent à faire emporter les masses au dépend des individus, qu’elles soient religieuses ou non. Ils ne s’opposent plus de manière frontale au spirituel ou à la religion tant qu’ils se présentent en tant que croyances individuelles, non-normatives et qui ne débordent plus de l’espace privé. Le militantisme des athéistes modernes contre toutes les religions est perçu comme obsolète et contre-productif par les postmodernes, car l’enjeu n’est plus là.

L’idéologie postmoderne respecte d’abord l’individu qui est juge de tout. Une croyance religieuse qui s’adapte et qui est taillée sur mesure pour l’individu est une croyance qui peut être religieuse et postmoderne à la fois.

Par contre, toutes les religions (et idéologies) avec un projet collectif (ou communautaire) sont considérés comme dangereuses. L’individu peut, bien sûr, adhérer à une communauté de foi, mais c’est un aspect qui ne doit pas primer et qui doit rester secondaire.

C’est le sens de ce type de question-injonction posé régulièrement aux musulmans : « êtes-vous d’abord musulmans ou français ? » Au-delà de la provocation de la question qui met en rapport deux réalités incomparables (appartenance nationale et appartenance à une cosmologie qui définit le croyant au-delà de sa vie terrestre), ce qui est recherché n’est pas seulement de se positionner sur son appartenance première. C’est d’abord d’affirmer que son appartenance à l’Islam est toute relative, et donc que la croyance à son credo reste relative, et que finalement sa vision du monde n’est pas intégrante mais s’intègre à son appartenance nationale.

Et ce qui est à peine sous-entendu, c’est que l’admission de l’Islam ou du religieux sur la place publique est conditionnelle. Le discours musulman, par exemple, doit se plier aux exigences du syncrétisme postmoderne. C’est-à-dire que le croyant doit renoncer à exprimer publiquement son principe fondamental d’un Absolu, et à l’affirmation (toute logique pour un croyant) que sa religion est la Vérité. Exprimer la relativité de sa croyance devient une preuve de tolérance. Et exprimer sa croyance avec conviction révèle un esprit fermé, voire intolérant.

Sur la place publique, les Imams médiatisés peuvent avoir droit à la parole, à condition de ne pas déranger, de ne pas remettre en question ces principes postmodernes. On a ainsi régulièrement ce type de discours, tellement incohérent de la part d’un homme de conviction, qui déclare que « l’islam doit être accepté dans notre République car l’Islam est une religion comme une autre (sic !). »

Il est vrai que l’idéologie postmoderne n’est pas formellement antireligieuse. Mais il faut bien comprendre la subtilité : Pour le postmoderne, l’individu reste la référence ultime. L’individu est la seule vérité et il n’est qu’un consommateur de religion pour son épanouissement individuel. C’est une conception utilitariste de la religion, de la croyance, de la foi et même de Dieu.

Pour le postmoderne, la religion doit se plier aux désiradatas de l’individu, il lui faut une religion sur mesure, qui « s’adapte » à l’idée dominante, qui « s’intègre », qui accepte de se cantonner dans la sphère privée et laisse le monopole de l’expression publique aux idées postmodernes et donc qui renonce à sa prétention à l’universel.

L’individu est donc central, tout doit lui être soumis. Ainsi déifié, il est totalement désincarné de sa réalité spirituelle et communautaire. Il devient une abstraction politique sans attaches, sans entourage, sans protection et livrée aux premières forces venues. Cette individu-sujet, représentant l’idéal citoyen, cache mal les réalités bien concrètes de l’individu-objet, bassement soumis aux lois de l’argent et à la triste vie du consommateur aliéné et du travailleur docile. Quand il revendique, c’est généralement que pour la protection légitime de ses petits intérêts d’individu-consommateur ou d’individu-travailleur qui refusent de devenir le déclassé d’un capitalisme sans foi.

Si la religion islamique fait aujourd’hui débat, c’est surtout parce qu’elle a cette prétention d’aller bien au-delà de ces simples revendications. L’Islam peut difficilement être assimilé a une collection de valeurs religieuses vécues individuellement, c’est une vision du monde qui ne peut être réduit a un simple code moral « petit-bourgeois ». Et évidemment, se considérer comme un système cohérent et normatif s’organisant autour d’une communauté de convaincues est particulièrement subversif pour les idéologues du postmodernisme.

Le postmodernisme : une religion invisible et sans signe apparent

Tous les systèmes idéologiques ou religieux ont des structures et des symboles faciles à identifier. Dans les médias, ces symboles identificateurs sont largement exploités : la barbe, le foulard, la kippa, la soutane, le minaret, etc.

L’attrait pour ces signes explicites définissant son appartenance a aujourd’hui bien diminué. On les rencontrait chez les nazis comme les communistes avec leur architecture distinctive et leurs symboles graphiques faciles à reconnaître. On les reconnaît encore dans toutes les nations modernes, à travers les défilés militaires durant leur fête nationale, chacune ont ainsi leur propre procession « religieuse » moderne.

Durant notre époque, cela est très différent. Car l’idéologie postmoderne ne cherche pas à apparaître en tant que tel : elle n’a pas ses propres institutions, elle n’élabore pas de rituels explicites. C’est ce qui trouble les croyants qui sont habitués à reconnaitre socialement l’existence d’une idéologie ou d’une croyance à travers l’expression de ses signes distinctifs. En fait l’idéologie postmoderne épouse les multiples formes des différentes croyances des individus tout en leur donnant un sens particulier et une orientation autre.

Aujourd’hui, les seuls temples de la postmodernité sont les temples de la consommation. Sa seule sacralité à laquelle on ne peut pas déroger reste l’idéologie du travail. Sa seule vérité est l’individu. À la fois sujet et objet, complètement encadré par sa condition de travailleur-consommateur, cet individu paraît soumis à une religion invisible, dont le seul but semble être de le mettre à distance de toutes idéologies et de toutes croyances qui pourraient remettre en cause la suprématie de cette idéologie relativiste.

Les héritiers des Lumières avaient leurs manifestes modernes (déclaration des droits de l’Homme), des documents aux dogmes très explicites (constitutions, droit positif), des institutions modernes (armée, nation, école, média). Les postmodernes préfèrent, eux, l’ambigüité et l’hypocrisie beaucoup plus adaptées à l’idéologie à géométrie variable du tout-relatif et des désirs de l’individu-dieu.

Ainsi le croyant postmoderne peut s’affirmer dans une religion sans en respecter tous les rites, pour rester « moderne ». Il déclare sa croyance tout en considérant que celle de l’autre est aussi valable que la sienne, pour rester « ouvert ». Il croit mais sans exprimer trop de conviction pour prouver qu’il reste « modéré ». Il est « croyant postmoderne ». Et c’est ce type de croyant que notre société accepte et promeut en permanence. On est croyant postmoderne parfois par ignorance mais souvent par opportunisme quand on est avide de reconnaissance personnelle, professionnelle, médiatique ou politique.

Si l’on devait choisir un hymne du postmodernisme, ce ne serait certainement pas la sanglante Marseillaise nationale qui vante le sang sacrificiel du martyr. Cela se rapprocherait beaucoup plus de L’opportuniste de Jacques Dutronc, véritable hymne à l’égoïsme individuel qui ne croit qu’en lui-même et ridiculise toutes les autres idéologies :

Je suis pour le communisme, je suis pour le socialisme

Et pour le capitalisme parce que je suis opportuniste.

Je n’ai pas peur des profiteurs ni même des agitateurs

J’fais confiance aux électeurs et j’en profite pour faire mon beurre.

Je suis de tous les partis, je suis de toutes les partys

Je suis de toutes les cauteries, je suis le roi des convertis.

Il y en a qui contestent, qui revendiquent et qui protestent.

Moi je ne fais qu’un seul geste, je retourne ma veste

Je retourne ma veste toujours du bon côté.

Les 5 piliers du credo postmoderne

Comme dans toute religion, le postmodernisme a ses croyances et principes de base qui fondent son credo. Voici donc les cinq piliers de la foi de ce système de croyance :

– Il n’existe pas de vérité absolue, l’individu est la seule réalité.

C’est le principe de base du postmodernisme dont découlent tous les autres. L’Homme étant la mesure de toutes choses, la Vérité n’est donc plus transcendante au sujet, mais au contraire relative à chaque individu. Le credo est l’adage que nous répétons souvent dans la vie de tous les jours : « chacun a sa vérité » qui équivaut à l’affirmation que la vérité n’existe pas. Car que vaut une vérité qui n’est valable que pour une seule personne ? La Vérité unique, absolue, qui transcende le temps, l’espace et l’individu n’existe plus. C’est le règne du relativisme, du subjectivisme et de l’individualisme. La notion même de « vérité » ne signifie donc plus rien.

Mais ce relativisme conduit aussi à la solitude extrême de l’individu : il n’y a plus de Vérité commune, donc plus rien de véritable qui nous relie. Il est condamné à vivre dans un monde où il n’y a finalement que des réalités subjectives. Le monde du doute et des apparences de l’individu-sujet remplace ainsi ce monde du signe qui révélait au croyant la présence du Créateur.

Cette conception du tout-relatif conduit a des impasses sur la vision de l’éducation, de la recherche ou même de la coexistence pacifique. En effet au nom de quoi éduquer si aucune Vérité ne dépasse l’éduquant et l’éduqué, quelle recherche scientifique si l’amour de la Vérité n’existe plus et sur quel critère objectif peut-on faire reposer un consensus pour régler nos conduites et espérer une paix qui dépasse nos différences ?

Cette vision nous conduit à ne concevoir nos relations sociales (et internationales) que sous l’angle du pragmatisme étroit et de l’utilitarisme (raison d’État, relation d’intérêt...) et finalement considérer que seul ce qui m’est utile est vrai. Une attitude qui, au pire, ne peut qu’engendrer la guerre de tous contre tous, chacun ayant une idée différente de ce qui lui est utile. Et, au mieux, cela produit un monde d’individus qui s’entassent, où il n’y a plus de prochain, où il ne reste que des semblables qui ne se regardent même plus. On est égoïstement ensemble...

Le nationalisme se sert du sentiment légitime d’appartenance à une patrie comme le capitalisme se sert du sentiment naturel de la propriété personnelle, afin de donner à ce système d’intérêts une justification morale.

– Il n’existe pas de limites, pas de contraintes imposées.

Le postmoderne rejette, en conséquence, l’idée que tout système de croyance ait la légitimité de poser une contrainte ou une limite à ses attitudes ou à sa manière d’agir. Ce qu’il recherche, c’est ce qu’il considère comme étant son propre épanouissement individuel, à travers la satisfaction de ses désirs et au regard de sa raison. Ce credo se résumerait ainsi : « je veux, je peux donc je fais ».

– Il n’existe pas de morale absolu,

car le postmoderne n’admet pas l’existence d’un système éthique/moral universel. Il ne s’agit plus de se comporter en accord avec une éthique qui se fondrait sur une croyance qui le dépasse. Il ne veut pas qu’on bride sa liberté car l’individu prime : c’est sa seule vérité, sa seule éthique et donc « tout ce qui est bon pour l’individu est éthiquement acceptable ».

– Il n’existe pas de réalité avant et après la mort.

Le postmoderne pense qu’il est issu du néant et que sa destinée finale restera le néant. Il a donc une approche dramatique (et anxiogène) de la mort et de sa condition. Le postmoderne considère la mort comme un tabou social que l’on cache autant que possible, jusqu’à l’arrivée de... sa propre mort.

– Il est la norme indiscutable, invisible et incontournable.

Le postmodernisme est une religion invisible qui avance masqué et qui impose son dogme du tout-relatif dans l’espace public. Ainsi, il impose la tolérance à tous (car chacun a sa vérité) mais jamais il ne relativise son propre credo. Il ne laisse circuler que son propre discours, celui que nous avons régulièrement dans nos grands médias.

Nous avons ainsi des imams, des prêtres et des rabbins qui interviennent sur des grands sujets d’actualité, mais toujours avec ces discours chloroformés, aseptisés et avec des expressions souvent vides et creuses. Toutes les religions, toutes les idéologies se valent et personne n’ose s’affirmer en tant que porteur de la Vérité ou d’une conception du monde particulière. Il y a en effet, dans certains lieux, certaines choses qui ne se disent pas...

La liberté d’expression est là, le débat contradictoire est permis mais c’est une liberté vide de sens, qui n’est que la liberté d’exprimer le vide. Une liberté toujours filtré par cette idéologie postmoderne des présupposés implicites.

Conséquences politiques du postmodernisme

 

Malgré son discours sur la tolérance et l’ouverture, les élites postmodernes en Occident exigent une adhésion formelle à leur perception des choses. Chacun dans sa vie privée, reclus dans son foyer ou dans son lieu de culte peut penser et dire ce qu’il veut, mais sur la place publique, sur un plateau télé, à l’école, dans une administration, certaines choses ne se disent pas...

Dans l’Occident postmoderne, c’est à l’État de se charger de cette lourde responsabilité de définir l’éthique social de l’individu et la parole publique qui lui est associée. Cela se fait par le pouvoir conféré à cette institution politique de définir et d’imposer la loi.

Dans la logique moderniste, imposer une loi, n’est pas contraire aux libertés individuelles. C’est l’idée qu’on retrouve chez Rousseau quand il affirme que « l’obéissance à la loi qu’on s’est prescrite est liberté́. » Ainsi, quand le commandement a un fondement divin, il est contrainte. Quand ce même commandement est issu de la raison intelligible, concrétisé par l’État législateur, il est liberté. Dans le contexte moderne où toute autre norme a disparu, celui qui commande et contraint l’Homme ne peut être autre que sa propre raison.

La loi devient donc la seule autorité commune qui, graduellement, devient la source de tout jugement : la loi de l’État postmoderne ne définit plus seulement ce qui est légale mais construit progressivement sa propre éthique qui s’impose, de fait, à tous. Il définit ce qui est bien ou mal, en l’autorisant ou en l’interdisant. Et la loi n’est plus là pour refléter la justice, mais il la définit aussi. Ce que la loi interdit est injuste et ce qui est permis est juste.

L’État postmoderne est donc devenu (même s’il s’en défend), à travers son pouvoir législatif et de coercition, celui qui définit la norme. Et c’est toujours au nom (jamais assumé) de la religion postmoderne que ce glissement s’est progressivement effectué. Nous sommes passés d’une morale définit par la norme religieuse à une éthique de l’individu définit par l’État où la notion du bien et du mal se juge selon le seul critère de l’épanouissement, très relatif et très subjectif, de l’individu :

le mal n’est que ce qui fait du mal à quelqu’un, et le bien n’est que ce qui fait du bien à quelqu’u

C’est pourquoi l’image même du mal dans nos sociétés modernes n’est pas la débauche ou le vice qui ne sont que l’expression d’une liberté (quand ils ne portent pas atteinte aux droits d’autrui), c’est beaucoup plus la torture ou la mutilation (qui est une atteinte à l’intégrité de l’individu).

Ainsi si nous appliquons cette compréhension à la loi discriminatoire et islamophobe d’interdiction du foulard islamique dans les écoles publiques : lorsqu’on humilie une jeune adolescente en l’obligeant à se découvrir devant le portail de son école, c’est considéré comme un bien et cela apparaît comme juste. Car le foulard est d’abord perçu comme une norme religieuse, qui s’impose donc de l’extérieur, et qui porte donc atteinte aux libertés de l’individu.

Autre exemple : Les débats au sujet du mariage homosexuel. Ils aboutissent fréquemment à cette question : « Est-ce qu’on doit permettre ce type de mariage ? » Mais ce qui sous-tend cette question, pour beaucoup, est que si la loi l’autorise, ce serait décréter que c’est bien. Et l’interdire serait de décréter que c’est mal. Et on arrive donc à cette aberration où on confond sciemment légalité et moralité ou légalité et justice.

D’ailleurs dans toutes les luttes revendicatives et politiques, quand l’État légifère, c’est considéré comme la suprême consécration et la reconnaissance politique du bien-fondé du combat engagé. Ainsi, au-delà de la question du mariage, une législation sur le mariage homosexuel est d’abord la reconnaissance étatique, puis sociale, d’une liberté individuelle « postmoderne ».

De même, une législation sur l’interdiction du foulard islamique est la consécration d’une discrimination considéré, à présent, comme socialement juste et politiquement légitime. C’est devenu une « discrimination légale » orientée contre une religion qui ose définir sa liberté individuelle sur la base de sa foi ou d’une croyance collective qui ose s’exprimer sur l’espace public.

 

Le poids des mots dans l’espace public

Le pouvoir de contrôler le langage sur la place publique tout en permettant la liberté d’expression est un pouvoir énorme. Cela permet des modifications dans les comportements et les croyances qui ne seraient pas possibles d’imposer, même par la force.

L’anthropologue Ernest Gellner nous rappelle le pouvoir de contrainte du langage quand la pensée dominante contrôle le sens des mots et manipule comme il l’entend ses concepts :

« Tout ce qui est suggéré par une langue donnée et tout ce qui ne peut pas s’y exprimer font partie des mécanismes de contrôle d’une société donnée. »[2]

 

Le philosophe Jean-François Lyotard nous précise, qu’au delà même du contrôle des mots et de leur signification, les lieux d’expression influencent largement notre langage. Parler dans l’espace codifié d’une institution diffère de l’usage ordinaire du discours :

« Le débat au sein d’une institution diffère toujours d’une discussion en ce qu’elle requiert des contraintes supplémentaires pour que les énoncés soient déclarés admissibles en son sein. Ces contraintes opèrent comme des filtres sur les puissances de discours, elles interrompent des connexions possibles sur les réseaux de communication :

– Il y a des choses à ne pas dire : elles privilégient ainsi certaines classes d’énoncés, parfois une seule, dont la prédominance caractérise le discours de l’institution.

– Il y a des choses à dire et des manières de les dire : Ainsi les énoncés de commandement dans les armées, de prière dans les églises, de notation dans les écoles, de rentabilité dans les entreprises… »[3]

On pourrait aussi parler du langage bureaucratique, technocratique ou même du langage médiatique avec ses codes et ses non-dits. Toutes nos grandes institutions politiques, sociales et éducatives de nos sociétés contemporaines fonctionnent donc sur ce pouvoir du langage et sur la manipulation des concepts qui définissent ce qui est possible de dire et ce qui ne l’est pas.

Ce qu’elles distillent, à travers ce pouvoir de dire, c’est un discours public : du tout relatif où la Vérité n’existe plus, de l’épanouissement par les désirs où les limites sont abrogées, du tabou de la mort où le sens de la responsabilité n’est plus rappelé. Mais c’est d’abord et surtout un discours qui vise à délégitimer, à discréditer et à exclure tous les autres discours qui tenteraient de se poser en alternative.

 

 

Conclusion

L’occidentalisation du monde a permis la généralisation des idées postmoderne sur toute la planète. Mais très peu de gens s’identifient en tant que tels même si leurs comportements et attitudes sont largement dominés par les présupposés postmodernes.

Il n’y a rien là de très surprenant. Il est assez difficile de ne pas être affecté par la pensée postmoderne et ses croyances. Les médias populaires, les agences de publicité́, le cinéma, les institutions éducatives et politiques, et même les logiques économiques qui régit la société de la marchandise participent tous, de diverses manières, au développement et à la propagation de ce système idéologique qui prétend à l’universel.

Mais l’universel ne s’impose pas aux personnes, il se propose à elles et elle naît par leurs œuvres. C’est une chose de subir l’influence d’une idéologie qui s’impose par son hégémonie, cela en est une autre que d’y adhérer et d’y participer activement.Pour souder une communauté de personnes, il faut entraîner une adhésion librement consentie.

Face à l’absentéisme politique, à l’indifférence sociale et au désengagement de tous sur tout, les idéologues du postmodernisme devront bien prendre conscience qu’on n’unit pas les Hommes sur la base de leurs seuls intérêts collectifs (partis, syndicats...), ni à partir de leurs rancunes et impulsions (mouvements revendicatifs), ni en utilisant leurs servitudes (mystiques du travail, adulation de la consommation). On ne les unit qu’à partir de leurs vies intérieures, de leur identité première qui font leur raison d’être. Le postmodernisme a voulu prendre une voie de contournement et construire un monde sans à avoir à se poser la question du sens.

On voit bien que cette question est incontournable.

Et Seul Dieu est Connaisseur de toute chose.

Yamin Makri

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